Paysages en récit

publié le 5 décembre 2018 (modifié le 26 février 2020)

Pour une approche anthropologique de l’atlas des paysages de la Seine-Saint-Denis

Cet atlas est le tout premier à mettre en avant, avant l’expertise paysagère, le regard que portent habitants et acteurs sur leur paysage.

Suivant une démarche collaborative expérimentale innovante, les perceptions plurielles de ces populations analysées par un fin travail anthropologique ont été croisées avec l’analyse paysagère pour offrir un atlas unique qui embrasse tous les paysages de ceux qui le vivent au quotidien.

Cet atlas ambitionne ainsi de donner tous son sens à la belle et inclusive définition du paysage de la Convention européenne du paysage : « Le paysage est une partie de territoire, telle que perçue par les habitants du lieu ou les visiteurs, qui évolue dans le temps sous l’effet des forces naturelles et de l’action des êtres humains. »

La couverture de l’ouvrage publié en 2016

L’étude anthropologique socle de l’atlas, décrite à la suite a été effectuée par le Laboratoire Architecture Anthropologie-(LAA UMR LAVUE 7218 CNRS/École d’Architecture de Paris La Villette), pour en prendre connaissance, veuillez charger le document Paysages en récit (pdf).

La représentation des habitants et des acteurs

L’étude du Laboratoire Architecture Anthropologie (LAA UMR LAVUE 7218 CNRS/École d’Architecture de Paris La Villette) a (parmi d’autres passionnantes conclusions) dégagé, à la suite de l’étude des perceptions de 24 habitants et 21 acteurs territoriaux au regard signifiant, sept catégories qui ont servi de support à un travail de cartographie des paysages. Elles sont brièvement exposées ci-après, et il est fortement conseillé au lecteur de prendre connaissance du document du LAA « Paysages en récit ». Les titres et leurs définitions sont ceux de l’étude LAA.

Les catégories de perception, présentation rapide

Respiration
Là où s’ouvre la possibilité, parfois inattendue, de faire pause et de se ressourcer c’est à dire de retrouver un contact sensible ou visuel avec le paysage

L’idée du paysage fait surgir le non-bâti comme une valeur essentielle. Les éléments de nature encore accessibles (Marne et Seine, bois et parcs, reliefs des buttes, ce qui reste d’agriculture) composent ainsi une « bonne surprise » au sein des tissus auxquels ils apportent de l’horizon, une capacité à se localiser, une qualité de cadre qui contraste avec de nombreux autres secteurs du département.

Certains des motifs de nature ont physiquement disparu (les ruisseaux de la plaine notamment), d’autres constituent un remarquable gisement de valorisation (la corniche des forts par exemple), indiquant combien la question du paysage est en mesure d’entraîner une dynamique positive de transformation du territoire et de ses représentations, dans la lignée des grands parcs publics qui marquent, plus que pour aucun autre Département, une identité paysagère.

Carte "respiration" produite par les habitants :
- les grands parcs : "être dedans" et voir loin
- les "promenades aménagées" et le fleuve comme "ailleurs"
- Paris comme respiration de "l’esprit"
- Des grands espaces ouverts

Ennui
Là où le paysage est terne et monotone et donne une impression de morosité

Le mot traduit une plus faible capacité à produire du paysage pour les secteurs que recouvrent les grandes infrastructures souvent enfermées entre les écrans acoustiques, les zones d’activité, les zones pavillonnaires et les grands ensembles « indifférenciés » (dans leur représentation du moins). Leur aspect répétitif et standardisé ne permet ni caractérisation ni différenciation : on s’ennuie.

Peu recherchées sur le plan esthétique, ces composantes ne sont en effet que très rarement représentées, sinon au moment de leur construction (les autoroutes) ou de leur destruction (les grands ensembles), et il faut noter que l’activité industrielle, qui a en grande partie quitté le département, a occasionné une importante production d’images au tournant du 20ème siècle.

Carte "ennui" produite par les habitants :
- Le paysage des voitures
- Homogène à perte de vue
- Le paysage réglementé

Hérité
Là où vous reconnaissez des paysages qui sont constants dans le temps et qui rendent identifiable le département

Les regards ne s’accordent pas quant à ce qui pourrait être considéré comme un patrimoine reconnu et formant une identité attachante du département. L’expérience personnelle, davantage que les représentations ou les savoirs, paraît commander ce que chacun considère comme un héritage assumé : les grands ensembles pour les uns, le pavillonnaire ancien pour les autres… Quant au socle naturel, il n’apparaît qu’en creux, comme un potentiel restant à révéler.

Carte "hérité" produite par les habitants :
- Les paysages identifiables : grands ensembles et sites industriels
- L’accumulation qui fait paysage
- Le patrimoine historique

Vivant
Là où le paysage est vif du point de vue des relations, des usages, des ambiances

Le paysage est « vécu », l’étude du LAA rapporte l’importance des lieux publics où peut se dérouler la vie de la collectivité : les centre-ville, les petites « polarités locales », les gares, les marchés, voire les centres commerciaux, offrent la représentation d’une ville partagée qui peut « faire territoire ».

Sur ce plan également, les parcs publics trouvent une place majeure, symbolisant des lieux agréables à vivre, en contraste avec les secteurs de la catégorie suivante.

Carte "vivant" produite par les habitants :
- La ville historique
- Le tissu faubourien et les espaces publics en première/deuxième couronne
- Les activités dans les espaces verts et au bord des fleuves
- La porosité espace public/privé dans le pavillonnaire
- Les centres commerciaux
- Des paysages à la petite échelle

Fragile
Là où le paysage porte une incertitude face à son devenir

Une des caractéristiques du territoire de la Seine-Saint-Denis consiste dans ses transformations : les tissus évoluent, certains ont déjà muté plusieurs fois (agricole, puis industriel, puis résidentiel par exemple), sur de faibles échelles de temps.

Les images de paysage ont à peine eu le temps de s’édifier, que les transformations sont déjà à l’oeuvre : le sentiment de fragilité est exprimé au sujet de composantes dont les habitants et les acteurs redoutent une éventuelle disparition, surtout quand il s’agit d’éléments qui apportent une caractéristique ou une qualité de cadre de vie. Ainsi des dernières terres cultivées, des faubourgs, dont la disparition paraît envisageable, l’exemple des ruisseaux de la plaine ayant montré qu’elle est possible devant les modalités d’un développement urbain peu délicat.

A cette notion s’ajoute la crainte de se voir déposséder d’un territoire au bénéfice d’une autre population, celle de la gentrification.

Carte "fragile" produite par les habitants :
- La perte d’horizon et des espaces vides
- Le devenir incertain des faubourgs et du pavillonnaire
- Fragilité et précarité sociale
- Les paysages non maîtrisés et non réglementés
- L’incertitude liée à l’arrivée du Grand Paris Express

Hostile
Là où le paysage dérange, produit un sentiment de malaise et de rejet

La notion exprime les lieux « invivables » de la Seine-Saint-Denis : les espaces qui ne sont fréquentables qu’en voiture (les autoroutes urbaines), les vastes secteurs d’activité vides le soir, les espaces servants de la capitale souvent clos et inaccessibles (aéroports, triages), les nombreux effets de cloisonnement (voies ferrées, autoroutes, murs, emprises géantes clôturées).

A cette notion s’ajoute l’entretien parfois négligé des espaces (notamment le long des autoroutes), l’aspect souvent lugubre des cloisons et des écrans (murs de béton, grillages fatigués), les ordures ramassées trop rarement… ce qui nourrit le sentiment d’un territoire « déclassé », en contraste avec l’espace soigné de la capitale toute proche.

Carte "hostile" produite par les habitants :
- Le malaise d’habiter : grand ensemble et habitat précaire
- Un malaise visuel : infrastructures et typologies d’habitat
- Le paysage sensoriel : sons et odeurs

Potentiel
Là où l’on perçoit la possibilité qu’un paysage puisse se développer

Loin d’être figé, le paysage peut devenir un enjeu des transformations d’un territoire où le développement fonctionnaliste et zoné des années dites « glorieuses » l’a ignoré.

L’évolutivité est une caractéristique de la Seine-Saint-Denis, les représentations sont aussi celles des potentialités dont on pourrait tirer parti, parmi lesquelles
- les tissus faubouriens, exact opposés des grands ensembles par la mixité, la mutation différenciée des parcelles, la capacité à créer un paysage urbain vivant et même joyeux
- la transformation des grands ensembles, déjà bien amorcée, et qui peut se poursuivre en apportant au territoire de nouveaux paysages
- un approfondissement de la révélation sensible des éléments de nature, dont le potentiel reste très important et loin d’être totalement mis en valeur
- l’amélioration du paysage des grandes voies autoroutières et des lignes de transport en commun
- la maintien de lieux disponibles, aux fonctions indéterminées et qui laissent possibles les investissements par les populations
La liste n’est pas close, gageons que les dynamiques fortes en cours actuellement, principalement le Grand Paris et les JOP de 2024, sauront s’emparer de ces potentialités paysagères.

Carte "potentiel" produite par les habitants :
- La réhabilitation du faubourien
- Les paysages des grands ensembles
- La mise en valeur des eaux et des infrastructures
- Des paysages à non-maîtriser

Pour prendre connaissance de cette étude, effectuée par le Laboratoire Architecture Anthropologie-LAA de l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette, veuillez charger le document Paysages en récit (pdf).