Noyaux historiques et urbanisation

publié le 17 novembre 2019 (modifié le 28 novembre 2019)

Le maillage de rues étroites et la continuité bâtie des anciens villages, avec leurs immeubles d’un ou deux étages, sont diversement conservés lorsqu’on s’écarte de Paris.

  Les anciens villages restent souvent lisibles au sein de la conurbation

Le plus souvent, les noyaux restent structurants

Ces anciens villages sont encore présents à Noisy-le-Grand, Gournay-sur-Marne, Gagny (parties non remodelées rue du Général Leclerc), à Montfermeil, Villemomble (où le noyau ancien est devenu résiduel parmi les bâtiments discontinus hauts mais où la Grande Rue a des allures de faubourg provincial), à Rosny-sous-Bois (où le bâti récent n’a pas encore effacé toutes les traces anciennes). Le modèle reste visible à Coubron (comme chez son voisin Courtry dans le 77), à Livry, dans le centre de Vaujours ainsi que dans l’ancien quartier Vert Galant (aujourd’hui Sablons), notamment rue de Meaux. Cette dernière, large voie sur l’ancien tracé de la N3, présente des accents de rue-faubourg qu’on ne retrouve pas dans les parties plus récemment urbanisées, ni vers Villeparisis ni vers Livry. Stains conserve aussi son bâti continu à un ou deux étages, même si le tissu a été segmenté par de larges emprises routières. Enfin, le cœur de Saint-Denis a conservé son tissu de petite ville, et même ses boulevards, hérités de son enceinte fortifiée, assez exceptionnels pour le département.

Noisy-le-Grand  en grand format (nouvelle fenêtre)
Noisy-le-Grand
En balcon sur la Marne, les communes qui se sont étendues sur le plateau pour former Marne-la-Vallée, composent une succession de petits bourgs déconnectée de la ville nouvelle.


Stains  en grand format (nouvelle fenêtre)
Stains
Même lorsque les reliefs sont faibles, les voies courbes longeant d’anciens cours d’eau, comme c’est le cas ici, offrent une variété de points de vue qu’on ne retrouve pas dans les formes urbaines postérieures à l’industrialisation.


Quelques formes urbaines postindustrielles superposées aux tissus antérieurs

Évidemment la croissance urbaine n’a pas toujours consisté en une extension des centres existants, il y a souvent remplacement. A Bondy, les parties non refaites à la fin du XXe ou au début du XXIe siècles sont rares, les formes actuelles sont plutôt continues hautes, mais les traces laissent penser que le tissu antérieur de certaines rues était peut-être déjà un peu plus haut que la norme, autrement dit plus urbain. L’habitat de Noisy-le-Sec a également été largement transformé par les grands ensembles. Ce qui en reste suggère qu’il devait être majoritairement continu et très bas avec un seul étage. Romainville est assez hétérogène (continuité bâtie de un à trois étages) avec un maillage de rues restées étroites. Le centre d’Aulnay-sous-Bois présente également une continuité bâtie limitée à un étage là où le renouvellement n’a pas encore eu lieu. Villepinte également, de même que Tremblay-en-France qui garde en plus un caractère rural. En limite de département, Roissy (95) était également fait d’un bâti très bas, comme le Blanc-Mesnil, bien qu’il n’en reste pas grand-chose.

Romainville  en grand format (nouvelle fenêtre)
Romainville
Outre l’architecture et la disposition du bâti, la forme du irrégulière du réseau de rue est caractéristique des formes urbaines anciennes.


Tremblay-en-France (Vue Google 3D)  en grand format (nouvelle fenêtre)
Tremblay-en-France (Vue Google 3D)
La conservation des bâtiments et du réseau routier anciens permet de minimiser la monotonie des lotissements qui semblent plaqués autour du noyau historique.


Quelques villages disparus

Certains noyaux ont été remplacés aujourd’hui par des tissus qui ont perdu ces repères historiques. Clichy-sous-Bois est ainsi remarquable par la quasi absence de traces du village initial, le bâti ayant été largement renouvelé fin XXe-début XXIe siècles. A Dugny, assez pavillonnaire et peu dense, on ne retrouve pas non plus l’ancien centre.
D’autres lieux-dits n’ont conservé que quelques vestiges de leurs tissus anciens. La traversée est-ouest à Drancy est particulièrement destructurée, de même que les rues intérieures. C’est également le cas à Bobigny où l’ambiance des bâtiments discontinus hauts s’impose, ou à la Courneuve où les repères historiques (bâtiments d’un seul étage pour ceux qui restent) sont rares. A Pierrefitte-sur-Seine, le vieux village est pavillonnaire, l’ancienne Nationale 1 (avant la déviation), urbanisée seulement au début du XIXe siècle, est principalement à deux étages. C’est un cas un peu à part entre ville-rue, ville neuve, faubourg et noyau pas vraiment historique. A Villetaneuse toute trace ancienne semble effacée. De même, le centre d’Epinay-sur-Seine est densément reconstruit en immeubles plus ou moins discontinus de grande hauteur qui semblent écraser l’église préservée.

Pierrefitte, sur l'ancienne nationale 1, et son emprise sur la carte de l'Etat-Major  en grand format (nouvelle fenêtre)
Pierrefitte, sur l’ancienne nationale 1, et son emprise sur la carte de l’Etat-Major
Pierrefitte sur la N1, comme le Bourget sur la N2, se sont structurées en villes-rues dès le début du XIXe siècle.

  Panorama des évolutions des noyaux anciens de la première couronne

Plus près de Paris l’évolution issue des noyaux historiques se combine avec celle des pseudo-faubourgs, les paysages racontent encore la distinction entre les types urbains hérités de la période préindustrielle et les suivants mais résultent d’un mélange de tissus plus difficiles à identifier.

La plaine Saint-Denis

Si la ville de Saint-Denis a bien les caractères des noyaux relativement éloignés de Paris, dans la partie sud de la commune, l’antique route de Calais (N1 qui est également l’axe de l’A1 aujourd’hui) traversait encore la campagne jusqu’en 1835 sur 3,6 km depuis la Chapelle jusqu’à l’enceinte de Saint-Denis. Les constructions s’accélèrent ensuite mais les probables faubourgs édifiés avant l’ère des usines vont disparaître à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, au profit de grandes emprises industrielles, elles-mêmes en grande partie détruites aujourd’hui. La Plaine Saint-Denis s’individualise ainsi sur une dizaine de kilomètres carrés par tant de renouvellement urbain que chaque étape n’est pas toujours identifiable. Certes, on trouve à Saint-Ouen (voir article précédent), quelques formes relictuelles près de la porte de Clignancourt, mais du vieux Saint-Ouen, près du pont, il ne reste guère de traces : autour du Grand Parc, le renouvellement post-industriel est en voie d’achèvement ; le maillage conservé entre le cimetière et le pont dessert un bâti plutôt disparate où les gabarits de rue et les formes caractéristiques à un ou deux étages sont encore visibles rue du Docteur Léonce Basset et rue Amilcar Cipriani.
A Aubervilliers, le village d’origine est confiné jusqu’en 1835 uniquement à l’est du Château des Vertus, entre le canal Saint Denis et la N2 avec un petit hameau à Crèvecœur (rattaché à commune de la Courneuve), en rive droite du ruisseau de Montfort, au sud de la future voie ferrée. II n’y a rien en 1835 sur l’axe historique que constitue la N2 (av. Jean Jaurès) entre la Villette et le Bourget. En 1854 le fort apparaît, erratique au milieu des champs. Si les traces des premières urbanisations sont comparables à celles de Montreuil, l’avenue Jean-Jaurès a aujourd’hui des allures de sortie de Paris en déshérence et en attente de réhabilitation, avec ses souterrains au milieu de l’espace public. C’est plutôt cette dynamique, ou son attente, qui caractérise le lieu, contrairement à Montreuil où le traitement routier a été moins brutal et où le renouvellement semble s’opérer plus harmonieusement. L’avenue de la République, moins dénaturée, correspond également à ce type faubourien continu haut, mais très irrégulier.
Comme à Montreuil, des travaux déjà réalisés, amorcés ou imminents rue Henri Barbusse témoignent d’une dynamique assez forte à proximité du Périphérique dans un tissu continu bas désormais en perte de cohérence.

La Courneuve - Hameau de Crêvecœur en grand format (nouvelle fenêtre)
La Courneuve - Hameau de Crêvecœur


Pantin et le Pré-Saint-Gervais

Jusqu’en 1815, Pantin s’étend entre le carrefour Hoche et l’église mais aussi le long de deux autres rues bâties, Hoche vers le nord et Charles Auray vers le sud.
A la fin du XIXe siècle, l’extension principale n’apparaît pas vers Paris mais perpendiculairement à la N3, réalisant la jonction avec le Pré-Saint-Gervais pour former une petite agglomération qui restera séparée de la capitale pendant encore quelques décennies. Il est remarquable que les constructions soient alors moindres sur la N3, que ce soit de Hoche vers Paris ou vers l’est, à la limite de Bobigny et Romainville (Petit Pantin vers rues Courtois, Benjamin Delessert). Ce décalage entre une croissance urbaine initiée depuis les centres anciens précédant celle des axes vers Paris se retrouve à Montreuil qui s’étendra en tache d’huile avant que n’apparaissent des constructions le long de l’actuelle rue de Paris.
Outre le style des constructions, ces décalages se traduisent dans le maillage des voies, moins géométrique aux environs des anciens centres qu’à proximité des grands axes où parcelles et îlots forment un réseau assez rectangulaire.
Aujourd’hui la rue André Joineau au Pré-Saint-Gervais reste typique des noyaux historiques franciliens avec leur bâti continu bas, ici en version majoritairement à deux ou trois étages, voire un peu plus haut en s’approchant de Pantin, malgré nombre de parties récemment modifiées ou en travaux.

Pantin, rue du Pré-Saint-Gervais - Le Pré-Saint-Gervais, rue André Joineau  en grand format (nouvelle fenêtre)
Pantin, rue du Pré-Saint-Gervais - Le Pré-Saint-Gervais, rue André Joineau
La hauteur et le style du bâti, de même que le réseau de rues, sont intermédiaires entre les formes pré-industrielles et celles du XIXe siècle, les nombreuses transformations affectant ponctuellement certains immeubles contribuent également à l’ambiance de la rue.


Des Lilas à Bagnolet

Ces formes historiques sont en revanche inexistantes aux Lilas, commune créée en 1867 à l’emplacement d’un parc boisé. En 1815 c’est donc encore la campagne entre Belleville et Romainville, l’avenue principale (rue de Paris-avenue Lénine) apparaît sur la carte de 1835 ainsi que les premières constructions et la voirie en étoile autour de la future place Charles-de-Gaulle, forme inspirée ou héritée des allées des parcs qu’on retrouvera dans de nombreux lotissements des époques ultérieures. En l’absence de noyau plus ancien, l’extension des Lilas apparaît ensuite multiforme en 1877, avec une composante linéaire continue le long de l’avenue vers Paris, mais également une composante plus dispersée autour de cet axe évoquant les formes d’étalement urbain périphérique qui se généraliseront un siècle plus tard. Par la suite, la densification et le renouvellement des tissus vont s’effectuer au gré des opportunités dans les différents quartiers, conduisant aux tissus actuels particulièrement hétérogènes.

Romainville  en grand format (nouvelle fenêtre)
Romainville
A quelques kilomètres de Paris, les centre historiques peuvent conserver l’aspect de villages beaucoup plus éloignés


Fère-en-Tardenois  en grand format (nouvelle fenêtre)
Fère-en-Tardenois
Dans l’Aisne, à 100 km de Romainville…


Plus à l’est, Romainville correspond à un modèle qu’on retrouve plutôt dans des secteurs plus éloignés de Paris. La ville est issue d’un village groupé adossé à un parc. Sa croissance encore modeste en 1877 conserve le maillage d’origine. Aujourd’hui on trouve des ambiances de bâti continu à un étage (rue Saint Germain, rue de Paris) à deux étages (près de l’église ou rue Husson). La question est de savoir de quoi ces ambiances sont typiques. Ce sont les mêmes qu’au centre-ville de Fère-en-Tardenois ou de nombreux bourgs ou villages du bassin parisien, on n’est pourtant qu’à 2 km de la porte des Lilas.

Ce modèle est également celui de Noisy-le-Sec avec cependant deux noyaux initiaux, le plus petit, à l’est (Merlan) étant aujourd’hui celui qui a le plus gardé son aspect initial (bâti continu à un étage), l’autre (Anatole France – Jean Jaurès) ayant été plus restructuré. Dans les deux cas, à plus de 3 km de la frontière parisienne, on se sent déjà loin des références haussmanniennes ou de faubourgs. Les traces historiques concourent à des ambiances alternées de bourg, de village, qui restent perceptibles derrière les formes appartenant souvent au vocabulaire des grands ensembles.

Noisy-le-Sec - Rue de Merlan  en grand format (nouvelle fenêtre)
Noisy-le-Sec - Rue de Merlan
Le noyau historique qui se limitait déjà à à cette rue principale au XVIIIe siècle reste identifiable avec sa continuité bâtie.


Bagnolet s’étendait au XVIIIe siècle au fond d’un vallon, autour de la rue Sadi Carnot qui suit le talweg de son tracé pas tout à fait linéaire. Au début du XXe siècle, la relation de la ville au vallon va être perturbée par le percement de l’avenue Gambetta qui lui est plus ou moins parallèle. Malgré les coupures et les restructurations, qui seront plus tard complétées par l’autoroute A3, le Périphérique et l’échangeur, le contraste entre les tissus historiques et ceux du plateau reste particulièrement sensible, Sauf à l’approche l’échangeur de la porte de Bagnolet, quartier autoroutier d’une quinzaine d’hectares où tout semble converger.

Bagnolet - Angle des rues Sadi Carnot et Marie-Anne Colombier  en grand format (nouvelle fenêtre)
Bagnolet - Angle des rues Sadi Carnot et Marie-Anne Colombier
A deux pas d’immeubles de grands ensembles, c’est surtout le bus RATP qui rappelle la proximité de Paris sur ce point de vue.


Montreuil

Montreuil, qui est une commune assez étendue, présente le plus de diversité liée à son histoire urbaine. A l’ouest de la Croix-de-Chavaux, l’urbanisation du Bas-Montreuil est encore à peu près inexistante sur la carte de 1854. Tout autour de la ville, les murs à pêches sont alors dix fois plus étendus que la partie urbanisée et plus de deux kilomètres de campagne, ou de parcelles avec des murs à pêches séparent alors les dernières constructions parisiennes de celles de Montreuil. Puis tout s’accélère, la rue de Paris et les rues voisines sont en partie construites en 1877 jusqu’à la Zone, de même que vers le sud les rue de Vincennes et avenue du président Wilson qui font la jonction avec Vincennes, tandis que la partie plus ancienne se densifie et s’étend encore modestement, vers l’Ermitage et les Malassis (actuelles rue de Romainville, Avenue de Villiers).

Aujourd’hui, cette chronologie est encore très présente à Montreuil où se ressent une ambiance particulière rue de Paris, mélange de formes constituant une sorte de pseudo-faubourg, déconnecté de la ville principale, et présentant des dynamiques originales :

- Depuis la porte de Montreuil, le début de l’actuelle rue de Paris est complètement restructuré avec hôtels et immeubles de bureau typiques du style des abords du Périphérique de la toute fin du XXe et du début du XXIe siècles. Le renouvellement se poursuit un peu plus loin mais reste nettement plus visible sur la rue de Paris elle-même ou sur les rues adjacentes de la partie toute proche de Paris.

- En s’éloignant de la Porte, on retrouve une ambiance de banlieue plus ancienne au bâti continu bas qui emprunte plus aux noyaux historiques et qui l’emporte progressivement à partir de la rue Armand Carrel. L’architecture y est plus mélangée, avec notamment des contrastes de hauteur marqués juxtaposant des immeubles de un à cinq étages. L’ambiance se poursuit dans tout le Bas-Montreuil jusqu’à la place Jacques Duclos (Croix-de-Chavaux) et irrigue en partie les rues adjacentes.

- Au NE de Croix-de-Chavaux, le changement est radical dans les rues du noyau historique où le Boulevard Rouget de Lisle (tracé après 1877 contrairement à l’avenue de la résistance, rue Dreyfus, rue V. Hugo) surprend avec ses façades haussmanniennes à six étages tandis que l’ancienne voie partant vers le nord (avenue de la Résistance) est un mélange de grands ensembles, quartiers pavillonnaires, immeubles récents de bureaux.

- On retrouve les formes de noyaux historiques homogènes avec dominante d’immeubles continus de deux ou trois étages rue du Capitaine Dreyfus, ou seulement un ou deux étages rue Danton.

- Les zones pavillonnaires et les grands ensembles occupent les parties les plus hautes, à la périphérie Nord du Bas-Montreuil et autour du centre historique.

Montreuil - Rue Danton  en grand format (nouvelle fenêtre)
Montreuil - Rue Danton
La ville de Montreuil possède sans doute l’une des plus grandes diversités de tissus de Seine-Saint-Denis. La partie la plus ancienne présente encore les tracés sinueux du réseau de rues.
Pour un parcours photographique historique plus détaillé, consulter l’observatoire photographique du paysage de Montreuil.


Ainsi la référence aux tissus des noyaux urbains historiques semble pertinente dans le cadre d’une approche paysagère. Outre le type d’espaces publics et d’architecture qui s’y attachent, ils se distinguent en termes de relation au socle physique, notamment par le réseau des rues, d’effet structurant par la perception de la chronologie de l’urbanisation.