Faubourgs parisiens et tissus de banlieue

Dans Paris, près de Paris ou loin de Paris : trois sens différents du mot faubourg…

Saint-Ouen. Rue Amilcar Cipriani (StreetView, 2016, de même que toutes les photos de cet article)

L’étanchéité de la frontière parisienne

Le terme de faubourg est rarement utilisé dans le vocabulaire courant pour désigner les espaces de proche banlieue 1. Jacques Sgard l’utilise dans une étude publiée par la DDE de Seine-Saint-Denis en 1999 où il parle d’une « première couronne (les faubourgs) » qu’il voit se développer en relation avec les voies ferrées ; et d’une « extension en couronne des faubourgs » lors de la période industrielle. Le terme est repris comme type de paysage dans l’étude de l’Atelier de l’ïle réalisée en 2016. Les auteurs situent sur leur carte-bloc-diagramme un « faubourg de Montreuil » et un « faubourg de Saint-Denis » assez étendus, de Pantin à Montreuil pour le premier, de la porte de la Chapelle ou d’Aubervilliers à Épinay pour le second, et la partie sud de Saint-Ouen (non nommée ou peut-être rattachée au faubourg de Saint-Denis).

Or, le faubourg porte en Île-de France une forte connotation qui le relie au Paris intra-muros, notamment par le fait que le terme a été conservé pour désigner certaines rues (du Faubourg-Saint-Antoine, Saint-Jacques, Montmartre, Saint-Denis…) situées entre le mur des Fermiers-Généraux et les limites communales actuelles de la capitale. Or, ces faubourgs de l’intra-muros, de constitution plus ancienne que les tissus de banlieue, ont aussi été créés puis transformés d’une manière très différente de ces derniers. Prolongeant les tissus centraux parisiens avec lesquels ils tendent désormais à se confondre, ils conservent aujourd’hui des différences marquées avec les tissus de banlieue, par des immeubles en général plus hauts, une ambiance haussmannienne plus fréquente, etc.
Utiliser le même terme historique de faubourg pour les tissus si différents situés à l’extérieur du Périphérique ne va donc pas de soi.

La question se pose également de l’identification de ces faubourgs de banlieue par rapport à d’autres espaces urbains. Car il leur arrive de ressembler aux noyaux historiques inclus dans l’agglomération parisienne, et qu’on n’associe pas au terme de faubourg. Et ils ne sont guère comparables aux faubourgs anciens de villes plus éloignées dont l’édification n’a pas suivi les mêmes modèles. De plus ces néo-faubourgs associent souvent des tissus différents, opposant des rues principales au style plus urbain à des rues secondaires au bâti souvent très bas.

Des faubourgs à la banlieue

Au XVIIIe siècle, à Paris, les faubourgs sont nommés, situés sur des cartes, comme de nouveaux quartiers conçus depuis la ville-centre selon un plan qui ne laisse guère de place au hasard. Mais à partir de la fin du XIXe siècle, ce schéma n’est pas renouvelé et la croissance urbaine se présente de manière moins ordonnée. Entre le modèle du faubourg organisé et celui de la banlieue, quelques formes intermédiaires vont apparaître, mais peut-on les nommer faubourgs ?

Plan général des faubourgs de Paris de Robert de Vaugondy, 1760, Extrait, BNF/Gallica
Carte de 1815 (les frontières actuelles sont en blanc)
Carte de l'Etat-Major de 1835 (la frontière actuelle est ajoutée en noir)

A partir du milieu du XIXe siècle, la croissance de l’agglomération change donc assez radicalement : on passe des faubourgs à la banlieue, la croissance devient discontinue et les rares continuités urbaines qui s’amorcent entre la capitale et sa périphérie seront bientôt détruites par l’instauration d’une zone non aedificandi sans précédent 2. Un siècle et demi plus tard cette limite communale s’est transformée en une limite paysagère majeure.

Carte de 1877 (la frontière, en noir, est celle d'aujourd'hui, elle a peu changé depuis 1860)

A partir de la fin du XIXe siècle, succédant au modèle classique des faubourgs institués en tant que nouveaux quartiers parisiens, un autre modèle tend à ancrer l’urbanisation extra-muros autour de rues-faubourgs (rappelant les villages-rues de certaines provinces) dont l’urbanisation linéaire précoce, du moins antérieure à celle des espaces voisins, s’effectue le long de nouvelles avenues percées entre le centre et la périphérie, ou de voies radiales importantes. A cette époque (carte de 1877 ci-dessus) certaines voies de la Seine-Saint-Denis se conforment à ce modèle mais elles sont assez peu nombreuses et partiellement affectées, une partie seulement des radiales proches de Paris étant concernée. De plus, dès les dernières années du XIXe siècle (carte de 1901 ci-dessous), la croissance en tache d’huile des noyaux historiques, y compris pour des noyaux situés assez loin de Paris, comme autour du Raincy, s’impose plus nettement que celle de ces faubourgs linéaires qui se présentent finalement dans un nombre assez limité de situations.

Carte de 1901 et noyaux historiques correspondant aux enveloppes urbaines du XVIIe siècle

La superposition de la carte de 1901 et des noyaux historiques du XVIIIe siècle suggère également une histoire bien plus complexe que celle d’une croissance régulière de Paris modulée par les infrastructures : l’accroissement des surfaces urbanisées est aussi important entre Saint-Maur et Livry-Gargan qu’à proximité de Paris. La croissance urbaine part de différents pôles et non pas seulement de la capitale.

De plus, contrairement à une autre idée répandue, dans le nord de la Seine-Saint-Denis, ni les grandes routes ni les voies ferrées ne semblent accélérer l’urbanisation. A contrario, d’importantes extensions apparaissent loin des grandes infrastructures routières ou ferroviaires comme Montreuil (le métro atteindra la porte de Montreuil en 1933, la mairie en 1937) ou Neuilly-Plaisance (la gare Sncf et RER de Val de Fontenay ouvre seulement en 1977).
Enfin, si la proximité du canal Saint-Denis semble avoir soutenu ou orienté la croissance de Saint-Denis et Aubervilliers, le canal de l’Ourcq semble avoir bien peu encouragé l’urbanisation au-delà de Pantin, malgré l’effet conjugué de la N3 ou de la voie ferrée !

Les gares du XIXe siècle et l'urbanisation en 1900 (les cercles font 1 km de rayon)

Les caractères de la proche banlieue

Ce qui va finalement permettre à la proche banlieue de se distinguer des anciens faubourgs de l’ntra-muros, c’est de ne jamais avoir été rattachée à Paris, en quelque sorte de s’agglomérer en restant en dehors de la ville-centre. Les règles d’urbanisme très différentes de part et d’autre de la frontière ont produit ces tissus contrastés, avec, du côté de la banlieue, le bâti continu bas, dense et hétérogène dont une partie s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui, avec bien sûr des situations assez variables dans le détail. Ces caractères prévalent dans une première couronne qui commence au bord de la frontière parisienne pour s’atténuer à 1 ou 2 km de là.

Le rôle du socle physique : Les buttes davantage favorables à l’urbanisation que la plaine

Avant la révolution industrielle, les taches urbaines sont étroitement liées au socle physique. La Plaine Saint-Denis est peu habitée, les noyaux les plus proches, Saint-Ouen et Aubervilliers sont alors à plus de 2 km des faubourgs parisiens, Saint-Denis deux fois plus loin, près de la confluence du Crould et de la Seine. Au contraire, les buttes de l’est de Paris accueillent des villages plus nombreux et plus proches de Paris : moins d’1 km entre Belleville et le Pré-Saint-Gervais ou entre Charonne et Bagnolet. Pantin, Romainville ou Montreuil ne sont pas beaucoup plus loin.

Cette différence de densité urbaine ente la plaine et les buttes va se poursuivre pendant la Révolution industrielle et laisser des traces jusqu’au XXIe siècle.

Les variations locales des tissus

Le sud de la Plaine Saint-Denis : urbanisation récente, industrielle et artisanale, peu résidentielle, et déjà largement renouvelée

Si en 1877 l’urbanisation linéaire est une réalité le long de la N1 entre Paris et Saint-Denis (aujourd’hui l’axe regroupe l’A1 et la N1) similaire à ce qu’on observe sur la rue de Paris à Montreuil, cet axe et ses abords ont désormais connu deux restructurations, industrielle et post-industrielle, effaçant l’ambiance de faubourg qu’il a pu connaître autrefois, avant l’industrialisation de la Plaine.

Saint-Denis. L'A1 et la N1 à la sortie de Paris
Le même axe historique A1-N1, un peu plus loin
Même axe de l'A1-N1, près du stade de France
Sur l'A86, vue perpendiculaire à la vue précédente… et très ressemblante

Des formes de rue-faubourg apparaissent modestement à Saint-Ouen sur la D111-rue Gabriel Péri et sur l’ancienne Avenue de la Révolte, aujourd’hui rue Victor Hugo N912-N410 qui fut un axe important bien que non radial (il joint Saint-Denis au bois de Boulogne et aux villes du sud-ouest de Paris). En revanche on ne les retrouve pas sur la N14 qui recoupe le parcellaire et les tissus organisés par l’axe SO-NE de la D410 jusqu’à la porte de Clignancourt, voire un peu au-delà.

Saint-Ouen. Avenue Gabriel Péri au bord du périphérique, Porte de Saint-Ouen
Saint-Ouen, Avenue Gabriel Péri à 100 m du Préiphérique
Saint-Ouen
Saint-Ouen. Impasse Mousseau (près du Périphérique)

La chronologie de l’urbanisation de la partie sud de Saint-Ouen est particulièrement remarquable. L’alignement du parcellaire nord-ouest – sud-est s’est largement affirmé au XIXe siècle dans toute la plaine comprise entre la Seine et Paris mais ne s’est pas propagée dans Paris. Près du marché aux Puces de Saint-Ouen se trouvent les reliques d’un étonnant faubourg qui suit cette orientation. Non seulement la dynamique semble avoir été arrêtée prématurément (les boutiques à un seul niveau qui forment le marché évoquent plutôt des baraques destinées à remplacées depuis plus de cent ans), ce qui ne correspond pas à l’évolution attendue d’un faubourg, mais l’observation successive des cartes montre que l’extension urbaine a progressé entre 1854 et 1877 non pas depuis la frontière parisienne mais bien depuis la D410, à partir d’un foyer d’urbanisation constitué près des docks de Saint-Ouen. C’est seulement ensuite que toute la plaine Saint-Denis va se bâtir.

Saint-Ouen. Rue des Rosiers

L’avenue-faubourg qui semble le mieux prolonger le tissu parisien en Seine-Saint-Denis se trouve aux 4 Chemins (limite Aubervilliers-Pantin) sur la N2, ainsi que sur l’avenue de la République perpendiculaire.

L'avenue Jean-Jaurès (N2) aux Quatre Chemins (Aubervilliers-Pantin) vers Paris
L'avenue Corentin-Cariou, prolongement de la N2 dans Paris

Les buttes de Romainville au contact de Paris : urbanisation plus ancienne, caractère artisanal et résidentiel, en connexion avec les noyaux historiques, tissus mixtes, renouvellement en cours mais encore partiel

A Montreuil, l’urbanisation est déjà importante à la fin du XIXe siècle sur une grande partie de la commune, dont le territoire s’étend entre la porte de Montreuil et Rosny-sous-Bois. Cependant, la rue de Paris percée en 1740 pour faciliter la livraison des pêches (l’axe, devenu N302, n’était pas important à l’échelle régionale ou nationale, en revanche la production des murs à pêches de Montreuil avait pris une ampleur considérable) ne présente encore que quelques constructions sur la carte de 1854, puis apparaît densément construite en 1877, mais avec encore très peu de tissus annexes. Cette forme linéaire ne perdure pas et 10 ans plus tard (carte de 1887), les tissus adjacents sont constitués et les extensions dans d’autres directions (Bagnolet, Vincennes) et autour du centre historique, plus éloigné, deviennent prépondérantes. Difficile dans ces conditions de distinguer une croissance de type faubourg d’influence parisienne aux abords de la rue de Paris d’une croissance en tache d’huile qui concerne à la fin du XIXe siècle d’amples surfaces autour des noyaux historiques même lorsqu’ils sont éloignés de la capitale. Ces différents modèles d’extension urbaine s’entrecroisent et se lisent dans les ambiances actuelles du Bas-Montreuil.

L'avenue de Paris à Montreuil en 1851
La rue de Paris à Montreuil, près du métro Robespierre
La rue d'Avron (anc. avenue de Montreuil) à Paris

L’actuelle N3 forme une autre radiale susceptible de respecter cette chronologie faubourienne au XIXe siècle. Mais l’enveloppe historique du village de Pantin se trouve à 300 m des limites actuelles de Paris. Si on compare avec les distances de 1 à 3 km auxquelles les anciens faubourgs parisiens repoussaient les frontières successives de la capitale, l’espace qui réunit ici les conditions d’un faubourg est particulièrement restreint. De plus, comme à Montreuil, la croissance semble traduire une logique de diffusion aussi locale que parisienne.

Pantin, trois vues depuis l'avenue Jean-Lolive (N3) près du carrefour de la rue Hoche. Carte de localisation : 1877

Ainsi apparaissent surtout des particularités locales et finalement une certaine rareté du modèle de faubourg ou d’avenue-faubourg. La D115 (route des Petits Ponts), tordue par le canal et les faisceaux ferroviaires, a perdu son caractère d’avenue dès le XIXe siècle. On trouve encore des formes qui font penser à des rues-faubourgs aux Lilas (sur la D117) et une autre à Bagnolet (rue Sadi Carnot, qui n’est cependant ni un axe important ni une percée reliant Paris).

Et plus loin ?
Parmi les autres formes d’urbanisation de l’époque industrielle, seule celle du Bourget sur la N2 a la forme linéaire qu’elle avait déjà au milieu du XVIIIe siècle… mais à plus de 5 km de la Villette à travers champs, c’est plus un village-rue qu’une rue-faubourg.

L’agencement particulier des tissus proches du Périphérique : des formes répétitives tout autour de Paris

En plus de son rôle de coupure, l’épaisse frontière parisienne est bordée d’une autoroute urbaine, le boulevard Périphérique, dont l’attractivité et les nuisances contribuent aussi aux dynamiques urbaines voisines. Ainsi les tissus tout proches de la frontière parisienne présentent en Seine-Saint-Denis des structures qu’on retrouve tout autour de Paris.
Tout au bord du Périphérique, bureaux et façades publicitaires essaient de se hisser au-dessus des murs antibruit.
Près des « portes » importantes, quelques avenues ébauchées, à l’architecture urbaine plus affirmée, contrastent, sur une assez courte distance avec les tissus adjacents.
Le reste du maillage rassemble les tissus mixtes qui rappellent les noyaux historiques.

La N301 à la porte d'Aubervilliers, près du Périphérique

Les situations rencontrées en Seine-Saint-Denis présentent bien une partie des attributs des faubourgs : rapidité de construction hors des enceintes urbaines, parcellaire géométrique, architecture vouée à un renouvellement rapide… En revanche d’autres attributs sont absents : extension en continuité avec la ville principale, vocation à s’y intégrer… En outre le terme de faubourg porte à confusion s’il est utilisé hors de Paris car il évoque, lorsqu’il est employé dans une acception non parisienne, des bâtiments peu élevés, des densités bâties « visiblement » faibles (interruption des continuité bâties sur rue par des parcelles non bâties ou certains bâtiments non contigus qui caractérisent les sorties de bourgs). Enfin, avec l’emprise plus importante de la dernière enceinte, avec la Zone qui l’augmente encore, la frontière parisienne est devenue beaucoup plus consistante. L’urbanisation de ces grands axes de banlieue ne s’est donc pas réalisée dans la continuité des tissus parisiens mais plutôt, comme on l’a vu, depuis les centres secondaires existants. D’une certaine manière ce n’est plus seulement Paris qui s’agrandit mais aussi les noyaux extérieurs.

Finalement, le terme faubourg, qui n’avait pas traversé l’enceinte de Thiers avant la fin du XXe siècle semble surtout ressurgir pour se substituer au terme de banlieue dans un contexte de gentrification de certains quartiers limitrophes de Paris, particulièrement à Montreuil 3. Restait à savoir si cela peut correspondre à un type de paysage ou d’ambiance urbaine. La répétitivité des structures en bordure du Périphérique y répond en partie. Les différences avec les tissus des noyaux historiques, plus ténues, vont être maintenant précisées.

Dès qu’on s’éloigne un peu du Périphérique et de ses influences sur les tissus voisins, la proche banlieue alterne des ambiances dont certaines rappellent des lieux plus anciennement urbanisés, villages, bourgs ou petites villes assez compacts aux noyaux urbains constitués avant la période industrielle.
En Île-de-France, et plus largement sur les plateaux agricoles du bassin parisien, ces noyaux sont assez typés par la forme et la largeur des rues, leur maillage, le style et la hauteur du bâti… D’autres caractères sont moins constants : présence de commerces et d’activités variées, importance des traces éventuelles de ruralité, dynamiques de renouvellement… Malgré l’importance des transformations urbaines, parfois multiples en Seine-Saint-Denis, ces formes anciennes ne sont pas totalement effacées. Dans quelle mesure restent-elles prégnantes ? Comment se distinguent-elles des quartiers tout proches de Paris aux accents faubouriens ?

Dans la même rubrique

Notes et références

1Cf. par exemple A. Fleury, (La Rue-faubourg parisienne. Essai de modélisation géohistorique, Mappemonde, n°73, 2004) qui tente de modéliser les différentes formes de croissance des faubourgs parisiens jusqu’au XXIe siècle, mais ne dépasse jamais l’enceinte de Thiers.

2Ce n’est pas particulier à la Seine-Saint-Denis, sur la carte de 1835 les jonctions réalisées sont peu nombreuses autour de Paris. Toutes ces continuités urbaines seront détruites au milieu du XIXe siècle, la frontière de Paris sera ensuite portée en 1860 aux limites de l’enceinte.

3Le côté nostalgique s’exprime par exemple dans la dénomination d’une « ZAC du Faubourg » proposée à Montreuil dans les années 2000. Sur la gentrification du Bas-Montreuil voir en particulier Anaïs Collet, Rester bourgeois. Les quartiers populaires, nouveaux chantiers de la distinction, 2015, La Découverte

Partager la page

Commentaires

Tous les champs marqués d’un astérisque (*) sont obligatoires.

Votre message
Qui êtes-vous ?

Entrez vos informations pour commenter