Tours et barres : « les cités du 9/3 »

publié le 5 juin 2018 (modifié le 26 novembre 2019)

Les « cités » nombreuses et réparties sur presque tout le territoire symbolisent la Seine-Saint-Denis.

Répartition des cités dans la Seine-Saint-Denis. Beaucoup de cités viennent s’inscrivent au sein même des nappes pavillonnaires, dont elles sont venu combler les vides.

  ENJEUX des cités

Les cités ont fait et font toujours l’objet de programmes ambitieux de rénovation urbaine, dont la réalisation et la poursuite restent des objectifs de requalification.
En termes de paysage, les enjeux des renouvellements vont principalement porter sur les objectifs suivants :
- Rechercher la mixité sociale et fonctionnelle
- Articuler aux tissus environnants, aux parcellaires, aux volumes, aux modes d’implantation, de sorte à atténuer les effets d’isolats
- Mettre en place la capacité à évoluer par parcelles, pour réduire l’échelle écrasante des opérations
- Renforcer les « centralités » au contact des tissus voisins et en lien avec les gares
- Valoriser les espaces publics, les beaux arbres en place, la vie collective
- Faire évoluer l’architecture vers des formes plus caractérisées, valoriser les formes « inventives »
- Intégrer les enjeux de transition écologique

  Une typologie reconnaissable

Construites en très peu de temps (environ 20 ans de 1955 à 1973), les cités (ou grands ensembles) sont des « opérations », conçues d’un seul tenant sur de vastes emprises. Elles obéissent toutes aux mêmes principes fonctionnalistes, énoncés en 1933 dans la « charte d’Athènes », très court manifeste rédigé par les Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne (CIAM) :
-  Une architecture fonctionnelle de grands immeubles de logements en barres ou en tours, souvent combinées, conçus par un même architecte dans un traitement unifié pour chaque opération
-  Pas de parcelles distinctives, une implantation qui ne définit pas de rues, mais de vastes espaces dégagés, tous publics, où sont disposés les voies de desserte, les stationnements, les espaces verts
-  Pour les plus importantes, création d’un centre commercial

Les cités concentrent les logements sociaux, en contraste avec les quartiers pavillonnaires habités par des propriétaires.

Drancy, la cité de la Muette. La cité de la Muette est la première opération de ce type en France, tout de suite après la parution de la charte d’Athènes.
Elle est aussi connue pour avoir abrité un camp d’internement de prisonniers destinés aux camps de la mort pendant l’occupation allemande.

Il est souvent difficile de distinguer les cités les unes des autres, du fait d’un grand nombre de caractères communs. La logique d’opération est toutefois lisible, chaque cité a fait l’objet d’une composition spécifique, qui peut lui conférer une certaine autonomie, un espace propre, peu articulé au voisinage. Le phénomène est accentué dans le cas des cités construites sur dalle, comme à Bobigny.

Sevran. L’exemple de Sevran permet d’observer la juxtaposition des opérations, les implantations différenciées, les effets de « collage ».

  Des quartiers conçus d’un seul tenant

Dans le paysage, les cités sont perçues comme des lieux en soi, non dans la continuité du territoire urbanisé. C’est dû aux conditions mêmes de leur conception en « opérations » d’un seul tenant, par un même architecte, dans les limites des opportunités foncières disponibles.
Avec, parfois, des difficultés d’articulation aux tissus voisins, et les effets de relégation subis par les populations, en particulier lorsque les dessertes en transport en commun sont trop faibles, comme à Clichy-sous-bois et Montfermeil.

Maquette d'une « opération » en grand format (nouvelle fenêtre)
Maquette d’une « opération »

L’urbanisme de dalle accentue l’isolement de certaines cités. Photo prise avant le programme de travaux visant à restituer un espace public au sol naturel.

  Le paysage des espaces verts

Un des principes de la charte d’Athènes consiste à offrir aux habitants un cadre de vie sain, ensoleillé, disposant d’espaces verts.

Croquis de Le Corbusier
C’est ainsi que, dans beaucoup de cités, les espaces verts ont été généreusement dimensionnés, plantés, les arbres ont atteint de belles proportions.
C’est un capital, parfois négligé par les modalités d’entretien, mais qui peut aisément être valorisé (reprise des allées, recomposition des masses arbustives, gestion du patrimoine arboré…).

Beau bouquet d'arbres au sein d'une opération en grand format (nouvelle fenêtre)
Beau bouquet d’arbres au sein d’une opération

  Un gigantesque chantier de transformations

Les difficultés rencontrées par les habitants des cités ont conduit l’Etat à entreprendre des transformations des cités, en particulier le programme « banlieues 89 » inspiré par Roland Castro, et le programme national de rénovation urbaine (PNRU) porté par l’ANRU depuis 2003 à l’initiative de Jean-Louis Borloo, et que poursuit le « Nouveau » programme (NPNRU).

Sur le plan du paysage les effets sont notables :
-  Recomposition des implantations et de l’architecture, par des programmes de démolition et de reconstruction parfois radicaux
-  Création d’espaces privatifs clôturés (résidentialisation)
-  Rénovation et requalification des espaces publics.

Le mouvement se poursuit, et tend à atténuer peu à peu dans les paysages du territoire, les effets de monolithisme et de lieux à part produits par les cités.

  Orientation identifiée par l’étude anthropologique

LES GRANDS
ENSEMBLES

SITUATION #5

Les grands ensembles sont hérités en tant qu’élément paysager fort, qui symbolise une époque et identifie le département en dessinant son horizon et en matérialisant des segments de sa culture et de son image médiatique. Cette dernière, souvent stigmatisant, pousse l’un de nos interlocuteur à questionner les paysages du département, à partir des grands ensembles, en termes de « connaissance du nom et méconnaissance du lieu, en général et vis-à-vis d’un quartier précis ». Les qualifications d’ennuyeux, d’Hostile et de Fragile concernent les grands ensembles situés en proximité des infrastructures et dont la rénovation n’est pas accomplie. L’Ennui et l’Hostile sont liés à l’homogénéité paysagère « à perte de vue » qu’ils produisent, mais aussi à leur enclavement physique et social : « c’est un tout : il y a le paysage visuel, qu’on voit, il y a le paysage qu’on vit, le paysage social.
Et il y a le paysage comme climat. Et tout ça c’est pesant ». Ces paysages, dont le nœud d’infrastructures du Pont de Bondy et les cités autour sont emblématiques, sont ressentis et vécus comme dérangeant et produisant un sentiment de malaise et de rejet notamment en tant qu’habitat. L’incertitude face au devenir des paysages créés par les grands ensembles est liée d’une part à la précarité économique des habitants et, de l’autre, aux effets de la longue durée des processus de rénovation.
Les grands ensembles sont aussi des lieux où et d’où l’on perçoit la possibilité qu’un paysage puisse se déployer. Les espaces vides et verts caractérisant leurs abords ont du potentiel dans la mesure où ils pourraient constituer la trame de continuités paysagères capables de relier, du point de vue visuel mais aussi en termes de pratiques, les différents tissus urbains.
La hauteur de tours et des barres, donnant accès au paysage à la grande échelle, est très appréciée par nos interlocuteurs, qui en profitent de chez eux, du point de vue du « spectacle », de la « contemplation » et de l’appréhension du territoire. La lecture croisée de la carte « hauteurs » - qui nous donne une aperçue du reliefs naturels – et des cartes issues de l’ethnographie nous ramène à l’un des possibles paysagers évoqué par nos interlocuteurs, à savoir l’aménagement pour le public de certains toits ou étages de bâtiments de hauteur, notamment dans la plaine, dans le but d’un partage des paysages à la grande échelle favorisant peut-être un changement du regard que l’on porte sur les grandes ensembles et sur le département en général : « quand on prend de la hauteur
(…) on voit tout le 93 et … c’est très vert !
C’est incroyable. On a l’impression qu’on est noyé dans une forêt ! Cette photo était une façon de voir différemment le 93. Et … c’est beau d’en haut ». (§3, Hostile)